La Haute Cour d’Islamabad a décidé d’identifier publiquement toutes les minorités religieuses

La Haute Cour d’Islamabad a décidé d’identifier publiquement toutes les minorités religieuses

Une récente décision de la Haute Cour d’Islamabad, au Pakistan, implique que tous les citoyens signalent leur affiliation religieuse sur leur carte d’identité et autres documents officiels
Un moyen de stigmatiser encore davantage les minorités.

Photo: La haute Cour d’Islamabad © RNS/IHC

, Lahore, RNS/Protestinter

Une Haute Cour pakistanaise à majorité musulmane a statué que les citoyens devaient déclarer leur affiliation religieuse avant de rejoindre la fonction publique, militaire ou judiciaire. Tous les certificats de naissance, cartes d'identité, passeports et listes de vote devront également indiquer l’orientation religieuse de la personne. Le verdict, une victoire pour les prêtres qui pressent l'État d'isoler les minorités, stipule également que tous les candidats musulmans aux assemblées nationales ou provinciales doivent jurer que le prophète Mahomet était le dernier des prophètes de Dieu.

Cette décision a répandu la peur parmi les chrétiens, les hindous, les sikhs et les autres minorités religieuses déjà sous pression dans ce pays sud-asiatique. Les ahmadis, qui croient qu'un autre prophète musulman est venu après Mahomet, se sentent particulièrement visés parce qu'ils ne peuvent pas prêter serment. «Il était déjà difficile pour nous, en tant que minorité, de conserver nos emplois gouvernementaux. Avec ce jugement, nous pouvons oublier la normalité de nos vies», a déploré Ejaz Mall, 34 ans, fonctionnaire chrétien à Lahore. «Beaucoup de personnes seront confrontées à l'exclusion socio-économique si la décision est mise en œuvre».

Dans sa décision du 9 mars dernier, la Haute Cour d'Islamabad a souligné que les citoyens devraient être facilement identifiables par leur foi et que les candidats aux fonctions publiques devraient faire connaître leurs croyances avant d'être pris en considération pour un emploi. Le juge Shaukat Aziz Siddiqui, dans une remarque clairement dirigée contre les ahmadis, a déclaré qu'il était «alarmant qu'une des minorités soit souvent confondue avec la religion musulmane» parce que leurs noms et leur tenue générale étaient semblables à ceux des musulmans.

Une intensification de la persécution

La décision de la cour a indigné les militants des droits de l'homme, qui craignent que cela stigmatise les minorités et mène à plus de persécutions. La Commission indépendante des droits de l'homme du Pakistan a demandé au gouvernement de s’y opposer immédiatement. «Il est essentiel que le gouvernement agisse en faveur de ses citoyens minoritaires en faisant appel de cette décision», a déclaré le président de la Commission, Mehdi Hasan. «Les institutions pour la justice telles que le tribunal d'Islamabad devraient jouer leur rôle dans la sauvegarde des droits fondamentaux des couches les plus vulnérables de la société».

Ce jugement est le dernier d'une longue série de tentatives de la part des autorités de distinguer clairement les religions au Pakistan. Un amendement constitutionnel de 1974 spécifiait que les ahmadis étaient des non-musulmans et une ordonnance de 1984 leur interdisait de pratiquer l'islam en public. Bien que les musulmans ahmadis, également connus sous le nom d'ahmadiyya, croient au Coran et au prophète Mahomet, de nombreux musulmans les considèrent comme des hérétiques parce qu'ils croient également que Mirza Ghulam Ahmad, le fondateur du mouvement au XIXe siècle, était un prophète des derniers jours.

En 1992, les législateurs avaient proposé d'indiquer la religion sur les cartes d'identité officielles, mais ils ont abandonné cette idée lorsque les chrétiens ont protesté. Deuxième plus grande minorité religieuse du Pakistan, la communauté chrétienne représente moins de 2% des 208 millions d'habitants du pays, suivie par les hindous, les ahmadis et les autres. Les non-musulmans ont été confrontés à des lois discriminatoires, à la violence et aux préjugés pendant des décennies au Pakistan. Plus tôt cette année, le Département d'État américain a placé le Pakistan sur sa liste de surveillance spéciale pour les violations graves de la liberté religieuse des minorités.

La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale a noté dans son rapport annuel de 2017 que «le gouvernement pakistanais avait continué à perpétrer et à tolérer des violations systématiques, continues et flagrantes des libertés religieuses» au cours de l'année précédente. «Les dispositions constitutionnelles et la législation discriminatoires sur le plan religieux, telles que les lois anti-ahmadis et anti-blasphématoires du pays, continuent d'entraîner des poursuites et des emprisonnements», indiquait le rapport.

Des traitements inégalitaires

Nasir Saeed, directeur du Centre d'aide juridique, d'assistance et d'établissement, un groupe basé à Lahore qui milite pour les minorités religieuses au Pakistan, a souligné que le gouvernement devrait promouvoir l'harmonie plutôt que d'autres divisions. «Les minorités, qui vivent sous la menace et fuient déjà le pays, ont besoin d’être rassurées, protégées et traitées de façon égalitaire», a-t-il ajouté.

La campagne contre les ahmadis a pris de l'ampleur à l'approche des élections générales du Pakistan prévues pour juillet. Un nouveau parti religieux ultraconservateur a bloqué Islamabad pendant trois semaines à la fin de l'année dernière pour protester contre une nouvelle loi électorale qui semblait atténuer certaines restrictions imposées aux ahmadis.

En décembre dernier, le député Muhammad Safdar Awan a appelé à l'interdiction des ahmadis de rejoindre les forces armées. Safdar est le beau-fils de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif. «Ces gens sont une menace pour ce pays, sa constitution et son idéologie. Je veux apporter une résolution pour interdire le recrutement de qadianis (musulmans ahmadis) dans les forces armées du Pakistan», avait déclaré Safdar à l'époque. «Une personne qui ne croit pas au djihad sur les traces d'Allah ne peut pas faire partie de notre armée pieuse».

Assassiné à cause de sa religion

Ruby Tabbasum, une jeune femme de 32 ans, a vécu cette discrimination de plein fouet. «En 2016, mon mari, Qamar ul Zia, a été poignardé à mort devant notre maison en plein jour. Son crime: il était un ahmadi», se rappelle cette mère de deux enfants, qui vit à Rabwah, une ville à majorité ahmadie, à 170 kilomètres à l'ouest de Lahore. Autrfois, Rabwah abritait le siège international de la communauté.

Qamar ul Zia a été traqué pendant des années par des islamistes pour des soi-disant délits. Après quelques agressions, un groupe armé de couteaux l'a tué alors qu'il ramenait ses enfants de l'école. «J'ai peur pour mes enfants. Ils savent ce qui est arrivé à leur père. Ils savent aussi qu'ils ne sont pas acceptés dans cette société», a ajouté Ruby Tabbasum. «Nous avons quitté notre maison après le meurtre car les enfants étaient embêtés à l'école parce qu’ils étaient ahmadis».

D'autres minorités disent avoir maintenant l'impression d’être encore plus stigmatisées. «Pourquoi ma religion devrait-elle être l’affaire de l'État? Si ma religion est mentionnée sur ma carte d'identité, cela me rend encore plus vulnérable en tant que minorité», a déploré Asher Daniel, un chrétien de 19 ans, étudiant à l'Université de Lahore. «Désormais, la moindre contravention pour une question de stationnement ou de feu rouge deviendra dangereuse pour moi, car dès que je montrerai ma carte d'identité, on verra ma religion».