Les règles pour les domaines en .bible sont une restriction à la liberté religieuse en ligne

Les règles pour les domaines en .bible sont une restriction à la liberté religieuse en ligne

La Société biblique américaine a modifié les règles d’utilisation de l’extension
bible, les rendant plus strictes et restrictives. Plusieurs groupes parlent d’entraves à la liberté religieuse.

Photo: © RNS/Kit Doyle

(RNS/Protestinter)

Certains étudiants en théologie se préoccupent de la liberté d'expression sur l'internet. Concrètement, ils s'opposent à la manière dont la Société biblique américaine (SBA) gère sa nouvelle extension .bible. L’achat d’un domaine en .bible est fermé à de nombreuses croyances ainsi qu’à tout groupe universitaire ou laïque.

«Internet est un espace public», souligne John Kutsko, directeur général de la Société de littérature biblique, la plus ancienne société dévouée à la recherche critique de la Bible. Elle compte environ 8'500 membres, pour la plupart des spécialistes. «Nous estimons que .bible a été enregistré comme un domaine public et ne devrait pas avoir le même genre de restrictions que des domaines personnalisés ou commerciaux».

La question s’est retrouvée au centre des discussions après que la SBA a acheté le nom de domaine de premier niveau .bible – une extension comme .com ou .org - et ensuite imposé des règles restrictives quant à son utilisation. Ces règles, d'après les critiques, limitent de manière stricte un grand nombre de croyances et excluent effectivement tout groupe universitaire ou laïque. De plus, elles sont en contradiction à la nature ouverte du web dont le but est d'être démocratique.

1190 groupes

La SBA gère l’extension depuis 2016 et l’a accordée actuellement à environ 1'190 groupes. Mais, depuis quelques semaines, elle interdit aux souscripteurs d'afficher du contenu qui «promeut des idées religieuses ou laïques contraires aux valeurs du Nouveau Testament, y compris mais non limité à la promotion d'une religion ou ensemble de croyances religieuses non chrétiennes».

À la suite des protestations d'experts de la Société de littérature biblique, de même que plusieurs organisations juives, la SBA a modifié ses règles le mois dernier, étendant la participation aux juifs. Mais les spécialistes estiment que cela ne suffit pas. Dans un article publié sur Religion News Service début mars, Marc Zvi Brettler, professeur d'études hébraïques à l'Université Duke, souligne que les règles restrictives de la SBA soulèvent des questions quant à sa possibilité d’être l’unique détenteur de l’extension .bible.

Les règles révisées interdisent tout contenu qui «promeut la croyance en toute autre tradition religieuse que le christianisme ou le judaïsme orthodoxe». L'interdiction touche aussi «tout contenu qui fait preuve d’un manque de respect pour Dieu, tel qu'Il est révélé dans la Bible», de même que «tout contenu qui manque de respect pour la Bible, en général». «Ces règles sont fondamentalement incomplètes», constate John Kutsko. «La SBA exclut tous ceux qui seraient critiques envers les traditions et les idées religieuses qu’elle prône; autrement dit, envers beaucoup d'experts».

Dans une courte déclaration, la SBA explique qu'elle a rencontré les «partis mécontents», tout en affirmant qu'elle est «tout à fait conforme avec l'ICANN», c'est-à-dire avec l’ «Internet corporation for assigned names and numbers», le groupe qui gère les ressources internet et coordonne son système de noms de domaines.

Adhérer aux croyances

Tout aussi significatif: la SBA a été critiquée par les avocats pour avoir demandé aux membres arbitrant la dispute autour de l’extension d’affirmer qu’ils «soutenaient avec enthousiasme la mission de la SBA» et qu’ils «croyaient que la Bible était parole de Dieu» apportant le salut à travers Christ. Doug Isenberg, juriste spécialisé dans les noms de domaines à Atlanta souligne que ces serments religieux demandés aux membres sont sans précédent.

«J’ai souvent été dans cette situation pour d’autres affaires et on ne m'a jamais demandé de signer une déclaration sur mes croyances religieuses ou politiques ni sur autre chose à part l'obligation de rester neutre et impartial dans ma décision», a-t-il affirmé. Dans une déclaration, la SBA a annoncé que son conseil d’experts réviserait ses critères pour les membres lors de la prochaine rencontre au printemps. La SBA a refusé de donner plus d'explications.

Les experts soulignent que l'accord pour l'inscription soumise par la SBA à l'ICANN en 2014 était beaucoup plus étendu et ouvert. Premièrement, il ne parlait pas de christianisme. L'accord stipulait que la SBA «proposait un accès global à tout parti approuvé qui serait intéressé de partager ou rechercher des informations (de façon commerciale ou non) sur les questions, les nouvelles, la culture, le style de vie, les divertissements ou tous autres sujets bibliques». Selon John Kutsko: «Ce que nous avons vu est qu'il y a une différence entre le dossier pour pouvoir devenir un gestionnaire d’extension et les règles d’utilisation imposées par la suite».

La SBA, organisation vieille de 202 ans, est surtout connue pour l'édition de Bibles qu’elle traduit en des centaines de langues et diffuse mondialement. «Jusqu'en 2001, elle ne s’engageait pas dans l'évangélisation», précise John Fea, professeur en histoire américaine au Collège Messiah et auteur de «The Bible cause: a history of the American bible society», un historique de la SBA. Mais ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, la SBA se considère comme un ministère chrétien et octroie des bourses à de nombreux groupes évangéliques, y compris la Liberty University and cru (anciennement la Croisade pour Christ sur les campus).

Un recul de l’œcuménisme

«On remarque un recul de l'oecuménisme par rapport à autrefois», constate John Fea. «Manifestement, ils sont en train de mettre beaucoup plus de critères pour sélectionner les groupes avec lesquels ils souhaitent collaborer». Selon Marc Zvi Brettler, la SBA «a une vision religieuse étroite. De plus, sa vision reste uniquement religieuse. Elle ne reconnait pas que la Bible est largement étudiée et respectée par des gens qui ne l’analysent pas nécessairement d'un point de vue religieux».

En effet, il n'existe pas une version de la Bible avec laquelle tout le monde est d'accord. Les juifs placent les livres de la Bible dans un ordre différent et n'incluent pas le Nouveau Testament. Les catholiques ajoutent une série de textes hébraïques appelés Apocryphe. Les mormons ont d'autres textes sacrés en plus de la Bible. Et il y a de nombreuses versions. La Bible de Thomas Jefferson par exemple, exclut les miracles de Jésus ainsi que la plupart des références au surnaturel.

La SBA et un groupe d'experts, en plus d'un représentant pour la Ligue contre la diffamation, se sont retrouvés lors d’une rencontre au mois de janvier pour discuter de leurs préoccupations. La discussion a été considérée comme cordiale et candide. «Nous espérons qu'ils vont se raviser, car cette attitude n’est positive ni pour l'ICANN ni pour le grand public», ajoute John Kutsko.