Un Notre Père commun à condition de ne pas s’arrêter sur les détails

Un Notre Père commun à condition de ne pas s’arrêter sur les détails

La nécessité de «garder un texte œcuménique commun» pèse lourd dans les débats sur le ralliement des protestants à la nouvelle traduction de la prière enseignée par Jésus. Mais à y regarder de plus près: ce texte n’a en fait, jamais été commun!

Photo: Le texte du Notre Père dans Matthieu.

«Depuis 1966, les Eglises francophones en Suisse partagent une même traduction du “Notre Père”, prière qui a une place importante lors des célébrations œcuméniques. Le Conseil synodal déplorerait une situation où protestants et catholiques ne partageraient plus le même texte», peut-on lire dans le rapport de l’exécutif de l’Eglise réformée évangélique du Valais (EREV) qui a été distribué aux membres du synode (organe délibérant) en vue du débat sur l’acceptation de la nouvelle traduction française de la prière commune à tous les chrétiens. Un argument similaire était défendu par le Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), qui a elle aussi débattu de cette question.

Alors que toute l’attention se focalise sur le changement de la traduction de la sixième demande: «ne nous soumets pas à la tentation» remplacée dès l’avent en France et dès Pâques en Suisse par «ne nous laisse pas entrer en tentation», lors des deux premiers débats réformés romands sur la question, un membre du synode a mentionné, en passant, la question du «aux siècles des siècles» devenu «pour les siècles des siècles».

De fait, un certain flou existe quant au texte officiellement en vigueur dans les Eglises réformées. Dans les recueils de chants distribués dans les paroisses, le Notre Père figure comme «anti-sèche». Entre les années 1970 et les années 1990, plusieurs versions ont été proposées. Elles se différencient par l’usage du «pour les siècles» ou de «aux siècles» ainsi que par la présence ou l’absence d’un «et» avant la sixième demande.

Décision prise sans les Romands

Dans le «Alléluia» qui s’est imposé dans la majorité des paroisses réformées de Suisse romande et de France dans les années 2000 la version du Notre Père qui figure en dernière page «est celle de la liturgie “verte” de l’Eglise réformée de France, et identique avec celle de l’Eglise catholique, ce fut donc un choix œcuménique», dévoile Henri Fischer, directeur des éditions Olivétan à l’époque de la publication de la première édition d’«Alléluia.» De fait, le débat entre texte en usage en Suisse et texte en usage en France n’a jamais eu lieu, car des tensions existaient au sein de groupe de travail et «début 2005, Olivétan a décidé de publier son recueil sans attendre une hypothétique décision de nos partenaires de Suisse romande.»

Quand les Eglises romandes se sont ralliées au projet «Alléluia», ce point n’a jamais été remis sur le tapis. «Un jour, le Conseil synodal a déclaré que le “Alléluia” était la liturgie officielle de l’EERV. Je me suis mis à utiliser le Notre Père qui y figure. C’est vrai que j’ai eu quelques remarques concernant la disparition du “et” et l’usage du “pour les siècles”», raconte Olivier Favrod.

«La formule “aux siècles des siècles”, à ma connaissance, n’est pas et n’a jamais été en usage dans l’Eglise catholique», note pour sa part Philippe de Roten du Centre romand de pastorale liturgique, l’organe qui rédige et publie les liturgies officielles pour l’Eglise catholique romaine en Suisse romande. «Quant à la disparition d’un “et” au début de la sixième demande, je n’ai pas d’information et suis plutôt étonné, puisqu’en grec il y a bien un “kai” (= et) qu’on n’a pas de raison de ne pas traduire», ajoute-t-il.

Une fin pas vraiment biblique

«L’actuelle traduction du “Notre Père” a été adoptée par l’Eglise catholique et le Conseil œcuménique des Eglises», rappelle le rapport du Conseil synodal de l’EREV. Pourquoi un texte, ayant fait l’objet d’un tel accord formel subit-il autant de variations? Probablement parce que la fin de la prière n’a pas le même statut. Deux des quatre évangiles racontent comment Jésus a enseigné cette prière à ses disciples. Mais ni chez Matthieu (Mt 6:9-15) ni chez Luc (Lc 11:1-4) ne figure la fin traditionnelle de la prière.

«La conclusion du Notre Père est appelée “doxologie”, car elle consiste à rendre gloire (doxa en grec) à Dieu. Elle pose un gros problème d’authenticité et l’on pense qu’elle est un ajout postérieur au reste. Il est vrai qu’elle est dans un style différent, utilisant des mots plutôt redondants alors qu’avant, tout n’est que précision et concision», écrit le théologien et pasteur Louis Pernot dans Evangile et Liberté. «On sait en particulier, grâce aux découvertes de Qumran, que l’usage juif, à l’époque de Jésus, était de toujours terminer une prière par une doxologie plus ou moins semblable à celle que nous connaissons dans le Notre Père. Cette doxologie n’était pas nécessairement écrite, mais quiconque prononçait une prière devait conclure par une formule de louange», explique-t-il, ajoutant que «de toute façon, il serait impensable de terminer cette prière sur la mention du Malin, c’est-à-dire du Diable. La tradition juive dit que l’on doit toujours terminer une lecture par un “Dabar Tov”, c’est-à-dire une bonne parole.»

L’usage tranchera

L’usage de ne pas faire figurer la doxologie dans les versions écrites du Notre Père subsiste d’ailleurs un peu dans le christianisme, ce qui explique la plus grande variabilité des dernières phrases de la prière, et ce d’autant plus que les variantes ne semblent pas être le fruit d’options théologiques différentes. La modification discutée actuellement aura au moins le mérite d’apporter un peu d’uniformité sur ce point aussi… pour autant que les fidèles qui connaissent généralement ce texte par cœur adoptent la nouvelle version.