Comment les Britanniques ont ajouté un nuage de religion dans leur politique

Comment les Britanniques ont ajouté un nuage de religion dans leur politique

Les derniers mois ont été difficiles pour un responsable politique britannique. Sa foi a fait l’objet d’articles et d’interrogations parfois hostiles de la part de journalistes.

Photo: Teresa May s’entretient avec les choristes après un service à l’Abbaye de Wetsminster en mars 2017. ©RNS/Reuters/Toby Melville

, RNS/Protestinter, Londres

Tim Farron est le chef des Libéraux démocrates du Royaume-Uni depuis 2015. Il est aussi protestant évangélique. Entre avril et juin, durant la campagne des élections générales il a été interrogé à de nombreuses reprises sur ses positions sur l’homosexualité. Les médias ont demandé à l’élu qui a parfois voté en faveur des droits des personnes LGBT, mais qui s’est aussi parfois abstenu, s’il pense que l’homosexualité est un péché. Après cinq jours il a finalement répondu non.

Autre responsable politique religieuse, la Première ministre Theresa May n’a pas fait l’objet d’autant de critiques au sujet de ses convictions, bien qu’elle fasse plus souvent les grands titres que Tim Farron. Et cela n’est pas dû au fait que Teresa May cache sa foi. Elle reconnaît publiquement que celle-ci a une influence profonde sur sa vie.

D’ailleurs, quelques jours avant qu’elle n’annonce la surprenante tenue d’élections générales anticipées, Teresa May a diffusé un message de Pâques, dans lequel elle se présentait comme fille de vicaire. «En ce temps de Pâques, je pense aux valeurs que nous partageons. Compassion, communauté, citoyenneté», a-t-elle déclaré. «Ces valeurs, nous les portons en commun. Elles sont visiblement vécues dans la vie de tous les jours par les chrétiens, ainsi que par les personnes d’autres religions ou sans religion.» Les notions de valeurs partagées et d’unité de la nation sont représentatives de la confession de Theresa May.

Les convictions de Theresa May n’ont pas été utilisées comme argument électoral, mais tant l’intérêt qu’elles suscitent que l’hostilité que suscite celle de Tim Farron sont le signe d’une fascination croissante pour la foi des politiciens, ce qui est inouï depuis au moins 50 ans.

Theresa May est née dans le sud de l’Angleterre. Elle est la fille d’un vicaire de l’Eglise d’Angleterre et a grandi à une époque ou la majorité de la population était, par défaut, anglicane. Dans les années 1950-1960, la majorité des gens étaient baptisés et mariés à l’église, et c’est aussi là qu’avaient lieu leurs funérailles. Mais à cette même époque, même si tout le monde était chrétien, personne n’en parlait, et ce n’était pas un sujet de discussion en ce qui concerne les politiciens.

Un non-dit qui évolue

Ce non-dit autour de la foi a évolué avec l’arrivée de Margaret Thatcher méthodiste de naissance. Elle a souvent parlé de religion et s’est entretenue avec des évêques, y compris l’archevêque de Canterbury, au sujet de la situation des villes ou de la guerre des Malouines. Durant la période Tony Blair, l’intérêt pour les convictions du locataire de Downing Street n’a fait que se renforcer. (Il s’est converti au catholicisme après avoir quitté la fonction de Premier ministre).

Un journaliste avait posé des questions à Tony Blair au sujet de sa foi, mais son responsable de la communication avait répondu par une formule devenue célèbre: «Nous ne nous occupons pas de Dieu.» Mais pour le professeur Peter Hennessy, l’un des principaux historiens de la politique du pays: «Cela n’a servi qu’à intéresser encore davantage la population à la foi de Tony Blair qui était évidente.»

Son successeur, le travailliste Gordon Brown, ainsi que la prédécesseur de Theresa May, David Cameron étaient tous deux chrétiens. Mais en matière de dévotions, ils ne jouaient pas dans la même cour que Maragret Thatcher, Tony Blair ou Theresa May.

On parle de foi car cela ne va plus de soi

Les raisons pour lesquelles la foi personnelle est davantage discutée sont complexes. On y trouve du sécularisme agressif, l’afflux de migrants d’autres religions et la peur de l’islam depuis les attaque de Londres en 2005, quand 52 personnes ont été tuées. Mais c’est aussi parce que les anciennes distinctions de classes, entre les travaillistes, représentant la classe ouvrière et les conservateurs représentants une partie de la population plus aisée, ne sont plus la caractéristique dominante de la politique britannique, selon Nick Spencer, directeur de Theos un groupe de réflexion sur la religion. Le sexe, les préférences sexuelles, la région d’origine et la religion ont pris une importance bien plus grande. «La société est bien davantage pluraliste aujourd’hui», explique Nick Spencer. «Nous vivons avec une grande variété de personnes et nous ne croyons pas toujours ce qu’ils croient. Pour beaucoup de gens maintenant, être croyant de va plus de soi. Donc, quand un politicien se déclare croyant, beaucoup de gens ne savent pas ce qu’est la foi, et cela les fascine.»

D’autres grands dirigeants politiques, comme le chef des travaillistes Jeremy Corbyn, ne sont pas identifiés comme croyants. Cependant, la religion a longtemps joué un rôle dans le Parti travailliste, et on dit fréquemment que ce parti doit «plus au méthodisme qu’à Marx». Récemment, le plus grand débat concernant la foi au sein du Parti travailliste a été une accusation d’antisémitisme. Une enquête a été ouverte après que deux députés ont fait des commentaires critiques à l’encontre des juifs et d’Israël. Des propos qui ont été dénoncés par Ephraïm Mirvis, le grand rabbin du Royaume-Uni.

L’antisémitisme n’a pas joué un rôle prépondérant durant la campagne pour l’élection générale. L’islam par contre a été fermement imposé dans l’agenda électoral par le Pari pour l’indépendance du Royaume-Uni, un parti de droite qui demande l’interdiction de la burqa. Mais lors de cette élection, il a lourdement reculé, ce qui laisse penser que sa ligne agressive envers les musulmans n’a pas trouvé le soutien des électeurs.

Les politiciens musulmans

Le politicien musulman le plus en vue du pays est Sadiq Khan, le maire de Londres. Il est travailliste. Les autres politiciens musulmans reconnus sont plutôt conservateurs. La baronne Sayeeda Warsi, qui était coprésidente du Parti conservateur alors que David Cameron était Premier ministre, a récemment publié «The Enemy Within: A Tale of Muslim Britain» (L’ennemi intérieur, un récit de la Grande-Bretagne musulmane). Alors que son propre parti est aux affaires, elle critique l’échec du gouvernement à promouvoir la cohésion sociale. Elle explique qu’en 2017, la vie des musulmans est réglée par leur identité religieuse, plus que par leur identité raciale. L’auteure dénonce aussi ce qu’elle appelle le sécularisme intolérant, qui ne touche pas que les musulmans, mais toutes les personnes croyantes.

Egalement conservateur et musulman, Sajid Javid a adopté une autre ligne. Il met en avant le caractère religieux traditionnel de l’identité britannique. «Je pense que nous devrions reconnaître que le christianisme est la religion de notre pays», expliquait-il avant l’élection générale. «En effet, la plupart des enquêtes montrent que la moitié de la population se déclare chrétienne. Et si les sondages ont raison et que Theresa May garde son avance, le prochain premier ministre sera chrétien de façon très traditionnelle.»

Pour Jenny Sinclair, fondatrice du nouveau mouvement Together for the Common Good (ensemble pour le bien commun), il y a des signes clairs qui montrent que la pensée et la rhétorique de Theresa May son colorées par les enseignements de la doctrine sociale catholique. Des valeurs qui sont partagées par Fiona Hill et Nick Timothy, les deux plus proches conseillers de Theresa May, qui ont démissionné après l’élection générale. Fiona Hill se dit catholique et Nick Timothy a cité plusieurs fois les enseignements de la pastorale sociale catholique sur son blog.

«Thersa may n’étale pas sa foi, mais elle vous en donne des petits aperçus», analyse Peter Hennessy. «A l’opposé, Tim Farron est évangélique. Il a un tempérament de prédicateur.» Pour Jenny Sinclair, certains sécularistes se plaignent et dénoncent le rôle majeur que joue la foi dans la sphère publique. La Première ministre les entend. «En disant qu’elle est chrétienne, je ne crois pas qu’elle soit triomphaliste», analyse Jenny Sinclair. «D’un point de vue séculariste, les croyants paraissent étranges, mais d’un point de vue plus large, ils ne le sont pas.»

Mais l’attention du public peut se porter ses les convictions personnelles de Theresa May. Sur la fin de la campagne le «New Statesman», un magazine de gauche, s’est intéressé aux valeurs de Theresa May. Le périodique s’est interrogé en particulier sur les conséquences de sa foi sur les questions LGBT, la question qui a justement fait trébucher Tim Farron.

Elle a rendu possible de voter pour un croyant

Toutefois, l’attention du public reste davantage portée sur sur Brexit. Avant de devenir secrétaire d’État à l’Intérieur et Premier ministre, Theresa May s’est avant tout fait connaître par son esprit critique à l’encontre de son propre parti, dénonçant son étroitesse d’esprit et son côté antipathique.

Si Theresa May a rendu les conservateurs éligibles, il semble aussi qu’elle ait rendu possible pour de nombreux électeurs de voter pour un responsable politique religieux, avec toutefois une façon très britannique de comprendre le religieux.