Une sœur au service de la communauté afro-américaine

Une sœur au service de la communauté afro-américaine

Ancienne religieuse, Delois Blakely, se bat pour la reconnaissance des droits des descendants d’esclaves aux Etats-Unis ainsi que pour les aider à se forger leur identité spécifique.

Photo: Queen Mother de Harlem devant l’«Arche du Retour»

, Protestinter

Pendant la 61e session de la Commission de la condition de la femme (CSW61) de l’Organisation des Nations unies, Delois Blakely plus connue sous le nom de «Queen Mother de Harlem» a organisé au Church center –un bâtiment mis à disposition des Eglises à proximité du siège de l’ONU– un évènement parallèle. La rencontre intitulée «femmes, filles et agriculture» a attiré plus de cinquante femmes surtout africaines ou afro-américaines. Queen Mother invite à entrer dans une relation de type maternel, une forme de matriarcat, dans la relation à la terre et à la nature. Elle encourage le public à travailler la terre, à planter et récolter ses propres légumes et ainsi à se conformer aux nouveaux objectifs de développement durable de l’ONU.

New York a perdu son âme

Queen Mother vit dans le quartier de Harlem, dans la maison qu’elle a achetée il y a 30 ans, à un moment où cela n’était pas difficile pour des femmes même avec des budgets modestes, car l’immeuble n’avait ni eau courante ni électricité et des personnes sans-abri y logeaient. Depuis le quartier connaît une gentrification galopante. «En 30 ans, New York a perdu son âme», explique-t-elle, «elle s’est détournée vers ce que le capitalisme a de pire à offrir. De telles maisons sont maintenant des objets de spéculation».

Mais Queen Mother garde toujours le même rêve: servir sa communauté à Harlem, en particulier les femmes les plus pauvres. «C’est le défi de nos jours aux Etats-Unis, non seulement de survivre, mais aussi de nous occuper des autres et les aider. Une fois que les femmes ont un abri dans notre communauté, elles peuvent aller vers d’autres femmes et leur expliquer comment elles peuvent survivre économiquement. Il faut un changement de paradigme pour les femmes: une fois qu’elles auront des salaires égaux, elles ne seront plus chargées uniquement d’être nourricières. Aujourd’hui, elles doivent lutter pour leur propre autonomie. Elles se battent pour survivre elles-mêmes...»

Un travail de mémoire

C’est sur l’Esplanade des visiteurs des Nations Unies, devant l’Arche du Retour que Queen Mother nous a donné rendez-vous. Tout un symbole. Cette œuvre est la plus récente de la place: elle a été installée il y a deux ans. Ce mémorial en marbre blanc et granit noir est un appel à se souvenir de la traite transatlantique des esclaves africains. Et comme l’arche biblique dont il est inspiré, il veut être le point de départ d’un travail de réconciliation des mémoires, de rencontres humaines entre les races et de respect des cultures. De la Porte du Non Retour, mémorial installé au Bénin en mémoire de la traite négrière à l’Arche de Retour, un long cheminement. Mais, explique Queen Mother, cette histoire ne sera jamais oubliée. Il faut rappeler l’héritage et reconnaître la tragédie.

Queen Mother revendique son identité de descendante d’esclaves. Elle milite pour les droits des 55 millions de descendants d’esclaves vivants en Amérique du Nord. Mais elle fait la distinction entre Afro-Américains et Africains. Les premiers ayant une autre identité d’après elle, ou plutôt sont à la quête de leur identité après la déportation d’Afrique. Elle en a fait l’expérience quant avec sa physionomie africaine elle s’est rendue en Afrique. Accueillie comme une des leurs, elle a provoqué la consternation puisqu’elle ne parle pas de langue africaine.

Photo: Dr Delois Blakely dans sa maison devant son portrait comme sœur Noelita Marie

Ancienne religieuse

Queen Mother a vécu pendant dix ans dans un couvent franciscain entre l’âge de 16 et de 26 ans, comme elle le décrit dans son autobiographie «The Harlem Street Nun» en 1987. Bien qu’elle ait quitté les ordres, elle continue à s’intéresser aux gens dépourvus —en particulier aux descendants des escales — après son retour à la vie séculière. En 1969, elle crée la «New Future Foundation» qu’elle préside. Cette ONG proche de l’ONU gère des programmes d’échanges d’étudiants d’Afrique et des logements pour étudiants. L’organisation met également en place des formations pour combattre l’ignorance qui mène au racisme. C’est ainsi que Queen Mother noue des contacts parmi des nations africaines, et entreprend un travail pour permettre aux Afro-Américains de renouer avec leurs racines. L’identité afro-américaine, selon elle, signifie davantage que de connaître ses racines africaines perdues dans l’histoire de déportation.

Après ses études universitaires en Tanzanie, puis au Nigéria et ses deux maîtrises en éducation (Harvard et Columbia), elle défend une thèse de doctorat en 1990. Elle visite l’Afrique (Egypte, Tanzanie, Nigéria, Sénégal…), et surtout le Ghana, où elle a visité les donjons des esclaves, et puis un village lointain dans la région de Haute-Volta: c’est là que lors d’une cérémonie elle a été investie de la mission de servir le peuple africain. Et aujourd’hui, c’est à Harlem qu’elle poursuit ce travail hérité de sa prédécesseur.

Un petit air de Sister Act

Comment est-il possible de trouver et représenter 55 millions d’Afro-Américains? «C’est mon devoir en Amérique», rétorque-t-elle. Elle est ainsi maire honoraire de la communauté de Harlem, et dame d’honneur de l’Ordre des Chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem de Malte» (ordre de Malte) depuis 1976. Le couvent, une sœur noire nommée Dolorès, Queen Mother s’amuse des parallèles entre sa biographie et le film «Sister Act» sorti en 1992.