Les réformateurs face au judaïsme

Les réformateurs face au judaïsme

Plusieurs réformateurs ont prêché la haine envers les juifs
Organisée dans le cadre du jubilé de la Réforme une conférence a éclairé ce pan de l’histoire protestante.

Image: Page de garde de «Des Juifs et de leurs mensonges» écrit n 1543 par Martin Luther

Que l’on expulse les juifs ou qu’on les réduise à des tâches déshonorantes, qu’on brule leur synagogue! Ces recommandations sont ni plus ni moins celles du réformateur Martin Luther, dans un traité de 1543 titré «Des juifs et de leurs mensonges». Ces écrits étaient au cœur d’une table ronde organisée lundi 30 janvier à l’Espace culturel des Terreaux sur le thème «Les Réfomateurs face au judaïsme.»

«A propos de ce traité de Luther, le psychiatre et philosophe Karl Jaspers disait: “Là, vous avez déjà l’ensemble du programme nazi”», a rappelé en préambule Jacques Ehrenfreund, professeur d’histoire juive à l’Université de Lausanne et modérateur de la soirée. Il a également rappelé que la pensée de Luther avait rapidement évolué, puisque 20 ans avant ce texte haineux à l’égard des juifs, le réformateur appelait, au contraire à une attitude ouverte vis-à-vis du «peuple de Dieu.»

Un précipité d’histoire européenne

«On retrouve dans la pensée de Luther un précipité en vingt ans de l’évolution du rapport de l’Europe, de la Péninsule ibérique en particulier, envers les juifs au court du Moyen Age», a analysé Claire Soussen-Max, Maître de conférences en Histoire du Moyen Age de l’Université de Cergy-Pontoise. Elle rappelle les différentes phases qui se sont ainsi déroulées. Au cours des XIIIe et XIVe siècles, les chrétiens ont eu un rapport ouvert avec les juifs. Des missions sont menées pour tenter de les convaincre d’adopter leur foi. Allant jusqu’à des conversions forcées au début du XVe siècle. C’est aussi au cours de cette période que les attaques contre le Talmud ont vu le jour et que la sincérité des juifs convertis a été mise en doute. Les juifs sont également accusés de tenter de reconvertir les chrétiens. On en arrive ainsi à l’apparition de mesures anti-juive et se forge alors le concept d’impureté des juifs.

«Pour Luther, il ne faut forcer personne à croire», rappelle le philosophe et théologien Jean-Marc Tétaz, traducteur de «Les juifs de Luther» de Thomas Kaufamnn paru en français aux éditions Labor et Fides. Luther tentera donc de convaincre les juifs par l’étude des textes bibliques. «Les textes anti-juifs ne sont pas au cœur de l’œuvre de Luther. Le cœur de son œuvre est l’exégèse.» L’enjeu est en particulier de prouver que Jésus est le Messie attendu par les juifs. «Luther est persuadé que sa démonstration de la messiannité de Jésus est incontestable», explique Jean-Marc Tétaz. Les juifs ne peuvent que se rendre à l’évidence, mais le refusent. Par là, ils agissent contre leur conscience. C’est ce qui fera d’eux des menteurs dans les œuvres tardives du réformateur.

Dieu ne renie pas ses promesses

«Les juifs ne sont pas à jamais forclos de la Grâce de Dieu», écrivait Calvin dans un commentaire biblique. «Pour Calvin, Dieu n’a pas détourné son affection du peuple juif», explique le pasteur Marc Faessler. Pour l’ancien directeur du Centre protestant d’études de Genève, le réformateur genevois insistera surtout sur le fait que Dieu tient ses promesses. La promesse faite au peuple juif n’est pas remise en cause par la nouvelle alliance chrétienne. Marc Faessler souligne toutefois que «Calvin n’a qu’une connaissance que livresque des juifs». «Réponse aux questions et objections d’un certain juif» est probablement une réponse à un texte juif polémique. «Calvin a peut-être connu quelques rabbins, mais lors de son arrivée à Genève, les juifs en avaient été expulsés»

En conclusion de la Table ronde, Isabelle Graesslé, ancienne directrice du Musée international de la Réforme, s’est demandé «Comment, en 2017, redéfinir une juste relation entre judaïsme et christianisme.» La théologienne invite à la reconnaissance de la spécificité de chaque religion. «Christianisme et judaïsme partagent un seul même Dieu. Il faut reconnaître la spécificité de la figure du messie.»