«Nous assistons à une main mise de l’Etat sur ce que doivent croire les citoyens»

«Nous assistons à une main mise de l’Etat sur ce que doivent croire les citoyens»

«Il faut quand même avoir une sacrée dose de foi pour croire qu’un lapin, à force de courir, va finalement devenir guépard.» C’est à cause de cette pique que la députée vaudoise Fabienne Despot (UDC) est passée pour créationniste lors du dépôt de la réponse du Conseil d’Etat à l’interpellation sur les écoles privées chrétiennes (objet 27). Elle a immédiatement réfuté. Elle reste, par contre, opposée à légiférer pour empêcher les écoles privées de dispenser un enseignement créationniste. Interview

Image: «La Création du Monde», Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553)

Propos recueillis par Joël Burri

Lors du débat au Grand Conseil, le député vert Martial de Montmollin vous a perçue comme créationniste. Vous vous en êtes vivement défendue.

Oui, j’ai dû reprendre la parole pour dire que je ne le suis pas. Toutefois, étant chrétienne, il est pour moi évident que la Création ne s’est pas faite sans un esprit supérieur. Mais c’est une question de foi, je ne mets pas ça sous l’aspect théorique.

Selon l’enseignement chrétien, cet esprit supérieur est la Trinité, Dieu. Et cet esprit supérieur a transmis au prophète ou à l’homme qui voulait bien l’écouter comment Il avait interagi avec la nature pour la construire. Il l’a expliqué sur le principe des sept jours. C’est quelque chose en quoi je crois. Mais que cela se soit fait en sept jours de 24 heures de soixante minutes, je n’y crois pas. Et à la limite, je m’en fiche. La symbolique est importante et le fait qu’il y a un esprit supérieur qui est intervenu. Peut-être que la notion de jours au début de la création du monde était complètement autre, mais elle est une notion qui permet à l’humain qui reçoit le message de Dieu de le saisir. Ainsi, pour moi, c’est une notion simplificatrice qui permet de transmettre un message compréhensible par l’homme. Est-ce que cela relève déjà du créationnisme, je ne sais pas?

Vous n’êtes donc pas particulièrement proche des mouvements créationnistes. Pourquoi dès lors vous engager en leur faveur, vous qui avez une solide formation scientifique?

J’ai réagi lors de la séance du Grand Conseil parce que j’étais offusquée par l’arrière-pensée de M. de Montmollin, et non pas parce que je connais particulièrement les écoles qui enseignent le créationnisme ou le créationnisme en lui-même. Je suis au courant de ce débat, mais je n’en sais pas plus. Ce qui me fait réagir, ce sont les intentions des élus qui veulent légiférer: à gauche, ils font tout pour attaquer le christianisme et à droite, tout pour canaliser l’islam.

C’est vrai que j’ai porté une critique sur l’évolutionnisme au Grand Conseil. Mais en substance, je peux bien comprendre que M. de Montmollin émette des critiques par rapport au créationnisme. Par contre, je ne comprends pas qu’il n’ait pas le moindre regard critique sur d’autres théories. Pour moi, l’évolutionnisme est quelque chose qui est tout autant sujet à discussion que le créationnisme.

Vous avez mentionné ma formation scientifique, en effet, j’ai un diplôme d’ingénieure chimiste à l’EPFL et j’ai suivi une formation postgrade en statistiques. J’ai donc quand même une «petite base» en statistiques. Et j’avoue que si on réalise une approche chiffrée pour essayer d’estimer le pourcentage de chances qu’il y ait une évolution sans une aide extérieure – si ce n’est un peu de conditionnement extérieur – on s’aperçoit que cela ne tient pas la route, statistiquement parlant. Or, cette critique je ne la vois pas, et je ne la vois pas parce que c’est une théorie qui est à la mode.

Mais la démarche est différente! Vous donnez l’impression de mettre sur un pied d’égalité quelque chose qui est de l’ordre de la théorie développée sur la base d’observation et d’expérimentation et quelque chose qui relève de l’acte de foi: la confiance en un texte sacré.

Pour moi, l’évolutionnisme tient en partie de la foi, c’est ce que je disais au Grand Conseil: «il faut quand même avoir une certaine dose de foi pour croire qu’un lapin à force de courir va devenir guépard.» Je ne dis pas que c’est faux, je dis qu’il faut garder le même esprit critique. Nous n’avons pas le même esprit critique vis-à-vis du créationnisme qui est considéré comme archaïque que face au darwinisme, à l’évolutionnisme, qui est considéré comme «the» théorie que nous devons suivre à la lettre depuis un ou deux siècles. Une théorie à laquelle nous ne croirons peut-être plus et que nous aurons probablement démolie scientifiquement dans un siècle ou deux.

Darwin était lui même très critique vis-à-vis de sa propre théorie, mais maintenant nous n’avons plus cet esprit critique. Nous sommes désormais dans l’acte de foi! Je sais que les personnes qui se sont penchées scientifiquement sur l’évolutionnisme doivent reconnaître qu’il y a des trous inexplicables dans l’évolution. Cela veut donc dire que scientifiquement, cette théorie a des lacunes, qu’elle pourrait être attaquable. Il ne faut pas dire que c’est «the» théorie à laquelle nous devons croire absolument.

De plus, en quoi cela dérange-t-il qu’une école privée donne un enseignement qui n’est pas accepté par l’école publique? Est-ce que c’est parce que le créationnisme est enseigné en biologie? Et ainsi, une question de foi est intégrée à un enseignement scientifique? Dans ce cas, je peux le comprendre. Mais nous pourrions régler cela en disant simplement: «si vous voulez enseigner le créationnisme, vous devez le faire lors de vos cours de religion, mais pas en cours de biologie. Où si vous le faites en cours de biologie, vous expliquez bien que c’est une théorie qui n’est ni scientifique ni prouvée. Elle est du domaine de la foi.»

Dans le fond, vous semblez être inquiète des intentions des élus qui souhaitent une modification légale.

Cette volonté de légiférer sur tous les domaines qui touchent au privé m’inquiète. De moins en moins de place est laissée à l’indépendance d’esprit. L’important ce n’est pas de défendre une théorie par rapport à une autre, c’est d’éviter que l’on ne puisse plus penser autre chose que ce que le «saint Conseil d’Etat» aura choisi comme étant bon pour les citoyens. Nous assistons à une main mise de l’Etat sur ce que doivent croire les gens.

Finalement, elle n’est pas dangereuse, cette théorie! Elle n’a provoqué la mort de personne! Au pire, nous pouvons en rire, comme face à un gamin qui croit au Père Noël. Mais il y a d’autres courants, bien plus inquiétants, qui se développent dans notre société.