L’éthicien de la Feps, Otto Schaefer, revient de Fukushima

L’éthicien de la Feps, Otto Schaefer, revient de Fukushima

Trois ans après la catastrophe de Fukushima, 160 000 personnes ne pourront jamais retourner chez elles. L’éthicien de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse a participé à la «Conférence internationale sur la catastrophe de l’est du Japon», du 11 au 14 mars dernier, à Sendai, à une centaine de kilomètres de la centrale de Fukushima.

Photo: Centrale nucléaire de Tomari, au Japon

Parrainée par l’Eglise unie du Christ au Japon, la «Conférence internationale sur la catastrophe de l’est du Japon» a rassemblé 185 représentants d’Eglises venus notamment d’Allemagne, du Canada, de Corée du Sud où encore de Suisse. Le pasteur et biologiste, Otto Schaefer, fraichement rentré du Japon, a partagé ses impressions avec Protestinfo.

Pourquoi l’Eglise unie du Christ au japon a-t-elle organisé ce forum?

J’ai senti un besoin très fort de la part des Eglises japonaises que les pays étrangers - et les Eglises sœurs - prennent conscience de ce qui s’est passé au Japon oriental il y a trois ans et de ce qui se passe actuellement. La situation est difficile pour la population dans cette région, il y a les victimes non seulement des ravages du tsunami mais aussi des radiations nucléaires.

L’Eglise unie du Christ au Japon s’oppose fortement à la position du gouvernement face au nucléaire. Premièrement, elle déplore sa décision de réactiver les cinquante centrales qui avaient été arrêtées, à la suite de la catastrophe de Fukushima, et à la volonté du premier ministre d’en construire de nouvelles. Mais les Eglises sont aussi opposés à la volonté gouvernementale d’acquérir l’arme nucléaire.

Comment se sent la population face à la décision du gouvernement de remettre en marche les centrales?

Environ 60% de la population japonaise se positionne contre la remise en marche des centrales. Mais les gens se sentent surtout blessés et trahis par les mensonges du gouvernement. Dans les régions touchées, plusieurs familles ont acheté des compteurs Geiger aux Etats-Unis et se sont rendues compte que le taux de radioactivité était bien plus élevé que ce que leur faisaient croire les autorités. La confiance est rompue.

La tradition du respect des autorités est profondlment enracinée dans la culture japonaise. Mais on sent que la situation est en train de changer. Le Japon vit une crise des mentalités.

Vous faîtes référence aux cinq étapes du deuil pour décrire le passage vers une civilisation postfossile et postnucléaire - non seulement au Japon mais aussi chez nous.

Au cours du temps, chaque civilisation a été liée à une «ère énergétique». Entre chaque «ère», il y a des périodes de transition, c’est ce que nous sommes en train de vivre, actuellement. La période de transition est souvent difficile et je pense qu’on peut la comparer, en termes spirituels, avec les cinq étapes du deuil décrit par Elisabeth Kübler-Ross.

Les cinq étapes sont: le déni, on nie les signes d'un changement profond, épuisement des ressources, changements climatiques, risques non maîtrisables du nucléaire. Puis, c’est la révolte, on refuse d'être concerné, on s'accroche aux habitudes, aux modes de production et aux modes de vie actuels. Ensuite, on négocie, on essaie de gagner du temps. Cette troisième phase pourrait correspondre à la position de l’Europe qui parlemente pour éteindre ses centrales progressivement ou pour adopter une politique climatique et énergétique qui ne fasse pas trop mal.

La quatrième phase est celle de la dépression. On pense que la situation est tellement insoluble qu’il n’y a plus rien à faire. Et finalement, c’est l’acceptation, l'ouverture sereine et inventive à une ère énergétique nouvelle, postfossile et postnucléaire, ouverture aussi à un idéal de "sobriété heureuse". Cette dernière phase pourrait représenter la position des japonais présents à la Conférence alors que le gouvernement du Japon se situe plutôt entre le déni et la révolte.

Est-ce que des décisions ont été prises à la fin de la Conférence?

La Conférence n’a pas autorité de décision. Mais à l’issue des rencontres, les participants japonais et des autres pays ont réaffirmé leur position très claire contre le nucléaire et en faveur d’une transparence de la part du gouvernement. Si les participants à la Conférence se sont exprimés - comme la direction de l'Eglise d'ailleurs, le synode de l’Eglise unie du Christ n’a pas pris position jusqu'ici. A Tokyo, une partie de ses membres sont favorables au nucléaire.

Concrètement que fait l’Eglise unie du Christ dans la région de Fukushima?

Elle a mis en place un programme d’aide caritative pour les victimes de la catastrophe de 2011. Actuellement 160 000 personnes sont dans des logements transitoires. Elles ne pourront jamais rentrer chez elles car leurs maisons se situent dans des zones fortement polluées par la radioactivité. Un programme Emmaüs soutient les victimes matériellement et spirituellement. Dans un film, nous avons vu des personnes traumatisées bénéficier de bains de pieds et de massages des mains pour leur permettre de s'ouvrir et de parler de ce qu’elles ont vécu.

L’Eglise participe également à des prières interreligieuses - le partage avec les autres religions est essentiel dans un pays où l'on tient à l'harmonie sociale et où les chrétiens ne représentent qu'une très petite minorité de la population.

Fukushina le 11 mars 2011

Le 11 mars 2011, un puissant séisme de magnitude 9 a frappé la préfecture de Fukushima, qui se situe sur la côte est du Japon. Le tremblement de terre a provoqué un tsunami dont la vague a atteint plus de 30 mètres, par endroit, parcourant une dizaine de kilomètres à l’intérieur de terre et détruisant 600 kilomètres de côtes. Le tsunami a entrainé l’effondrement de trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi de la Tokyo electric power company (TEPCO).Ethique de l'Energie

La réflexion éthique présentée par Otto Schaefer, à Sendai, est développée dans l’ouvrage Éthique de l’Énergie. Vers une nouvelle ère énergétique. Perspectives durables pour l’après-pétrole.