En Corée, le processus de paix a besoin des Eglises

En Corée, le processus de paix a besoin des Eglises

Au moment où l’armistice qui a mis fin à la guerre de Corée fête ses 60 ans, après les tensions des derniers mois avec la Corée du Nord, un ancien ministre de l’unification de Corée du Sud fait part de sa vision de la situation. Lee Jae-joung est prêtre anglican et professeur à l’Université anglicane de Séoul; de 2006 à 2008, il a été ministre de l’unification du gouvernement présidé par Roh Moo-hyun, et, à ce titre, a joué un rôle important dans le sommet intercoréen de 2007.


Par Julie Paik*, Séoul

Que représente pour vous le soixantième anniversaire de l’armistice ?

Le fait que nous vivions sous un régime d’armistice signifie que nous sommes dans un contexte de guerre depuis 60 ans. Il n’y a pas de paix conclue avec la Corée du Nord. Aujourd’hui, nous nous considérons comme des ennemis, pas comme des partenaires, bien que nous parlons la même langue, que nous formons le même peuple, et que des familles sont séparées des deux côtés de la frontière.

La péninsule coréenne ne connaîtra pas de paix sans unification, et pas d’unification sans paix. Les programmes d’échange tels que la zone économique de Kaesong, exploitée conjointement par la Corée du Nord et la Corée du Sud et dont la réouverture vient d’être annoncée, sont très importants: la paix viendra du contact humain que ces programmes d’échange rendent possible. Sans contact humain, il n’y aura pas de paix.

Comment analysez-vous la situation actuelle en Corée du Nord?

Pour bien comprendre la Corée du Nord, il faut d’abord admettre que c’est un Etat comme un autre, un Etat normal, quoi qu’on pense de son fonctionnement interne. La seule — et importante — différence avec les autres pays du monde, c’est qu’il lui est impossible d’aller vers une normalisation de ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Pour tous les dirigeants nord-coréens, de Kim Il-sung à Kim Jong-eun, c’est cette normalisation qui est la première des priorités.

La seule raison pour laquelle la Corée du Nord cherche à se doter de l’arme nucléaire est qu’elle vit dans la crainte constante d’une attaque américaine brutale. Les dirigeants ont vu ce qui s’est passé récemment en Afghanistan, en Irak ou, dans une moindre mesure, en Libye. Ils ne veulent pas que cela se reproduise en Corée du Nord.

Une normalisation des relations diplomatiques avec les Etats-Unis est-elle possible?

Il y a une vingtaine d’années, sous le gouvernement Clinton, la Corée du Nord et les Etats-Unis ont conclu un accord qui a entraîné l’arrêt complet du programme de développement nucléaire nord-coréen pendant huit ans. L’arrivée au pouvoir de George W. Bush a mis un terme définitif à cet accord. Depuis son élection, les Etats-Unis ont complètement abandonné cette ligne diplomatique porteuse d’espoir.

Aujourd’hui, selon moi, le président Obama n’a pas de politique claire vis-à-vis de la Corée du Nord et se contente de suivre les positions du gouvernement sud-coréen. Celles-ci se limitent, depuis l’élection du président Lee Myung-bak en 2008, à couper toutes relations avec le Nord et à attendre la chute du régime.

L’attitude attentiste de Barak Obama est irresponsable, surtout jointe aux exercices militaires communs avec la Corée du Sud qui semblent faits pour provoquer la Corée du Nord. J’estime qu’en tant que prix Nobel de la paix, le président Obama a le devoir moral d’agir pour la paix dans la péninsule coréenne avant la fin de son mandat.

La communauté internationale a-t-elle un rôle à jouer dans le processus de paix?

La situation en Asie-Pacifique est très complexe. Cinq puissances principales dominent la région: la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis (même s’ils n’y appartiennent pas géographiquement). Je pense qu’actuellement, les Etats-Unis essaient de se positionner en situation de force militaire en Asie-Pacifique dans la perspective d’une compétition future avec la Chine; la péninsule coréenne est donc pour eux une zone stratégique.

Dans ce jeu de pouvoirs, je ne vois pas bien comment la communauté internationale en général pourrait intervenir. Par contre, je suis heureux de constater que des pays occidentaux (la France, l’Allemagne, la Russie, l’Australie...) établissent des relations diplomatiques avec la Corée du Nord: à titre individuel, ils peuvent désormais intervenir en tant que médiateurs, et c’est un très bon signe.

Que peuvent faire les Eglises?

Elles ont un rôle important à jouer, ne serait-ce que par la prière. Dès l’époque de la guerre froide, le Conseil Œcuménique des Eglises (COE) et le Conseil National des Eglises de Corée du Sud (NCCK) ont tenté d’établir un contact avec la Corée du Nord par le biais de ses Eglises. Ce contact a porté des fruits: deux rencontres avec des responsables d’Eglises nord-coréens ont pu avoir lieu en Suisse, à Glion (VD), en 1986 et 1988. Lors de ces rencontres, les Eglises de Corée du Sud et de Corée du Nord se sont engagées à prier ensemble pour la paix, notamment lors du dimanche qui précède le 15 août (ndlr: date anniversaire de la libération de l’occupation japonaise, le 15 août 1945).

Ce jour-là, une prière rédigée en commun est lue des deux côtés de la frontière. Pour aller plus loin, il est à mon avis indispensable que nos Eglises acceptent de reconnaître les Eglises officielles de Corée du Nord. Il est vrai que cette proposition est problématique, car la Fédération chrétienne de Corée (KCF) est composée de deux Eglises situées à Pyongyang, la capitale, et étroitement liées au parti. Même si le discours officiel est que la Corée du Nord garantit la liberté de religion, les membres de ces Eglises sont en réalité désignés par le parti. Mais, en tant que chrétien, je suis intimement convaincu que l’Esprit Saint est à l’œuvre dans ces institutions de Corée du Nord.

Après tout, nos Eglises aussi sont des institutions d’origine tout à fait humaine qui ont leurs imperfections et leurs limites, et c’est peut-être particulièrement vrai pour moi qui suis anglican, mais cela n’empêche pas Dieu d’œuvrer à travers ces structures. La seconde chose que je souhaite est que les grandes congrégations protestantes de Corée du Sud, qui sont puissantes et influentes, s’investissent dans le processus de paix. A l’heure actuelle, elles ne s’y intéressent pas, et leur position vis-à-vis de la Corée du Nord se limite à un anti-communisme primaire.

Qu’espérez-vous de l’assemblée du Conseil Œcuménique des Eglises (COE) en Corée du Sud, du 30 octobre au 8 novembre prochains?

J’ai vraiment espéré que cette assemblée en Corée du Sud marquerait une avancée dans le processus de paix, mais je ne crois pas que ce rêve deviendra réalité. Cela pour deux raisons: tout d’abord, le président du comité de préparation de l’assemblée n’est pas impliqué personnellement dans le mouvement œcuménique et ne s’intéresse pas non plus à la paix dans la péninsule. Il a simplement été choisi parce qu’il est pasteur d’une importante communauté presbytérienne.

Ensuite, la question de la paix dans la péninsule coréenne n’a même pas été inscrite à l’ordre du jour des discussions principales. Les Eglises de Corée du Nord n’ont pas été conviées à participer à la préparation. Aujourd’hui, on leur propose d’envoyer des délégués, mais je suis assez pessimiste: je pense qu’ils ne viendront pas. Ceci dit, l’assemblée reste une opportunité unique d’informer les Eglises du monde entier sur la réalité de la situation coréenne.

Comment envisagez-vous l’avenir de la péninsule coréenne?

Chaque pays a sa propre politique, qui peut changer selon les contextes et les situations. Mais je pense que la recherche de la paix et de l’unification doit être un principe intangible. Or, en Corée du Sud, ce n’est pas le cas : les deux derniers gouvernements (du président Lee Myung-bak, de 2008 à 2012, et de la présidente Park Geun-hye depuis 2012, NDLR) n’ont pas reconnu la légitimité des déclarations communes des sommets intercoréens de 2000 et 2007, et cela fait beaucoup de mal au processus de paix.

De plus, la majorité de la société sud-coréenne ne s’intéresse pas aux enjeux de l’unification, de la justice, de la démocratie, de la réconciliation. Pour la plupart des gens, c’est normal de vivre séparés; mais ce n’est pas une réponse viable aux problèmes de la péninsule coréenne. C’est à cela que je m’efforce aujourd’hui de sensibiliser mes étudiants. C’est aussi pour cela, après avoir beaucoup hésité, en tant que prêtre, à entrer au gouvernement, que j’avais accepté la proposition du président Roh Moo-hyun de devenir ministre de l’unification.

J’ai pensé que c’était sans doute une part de la mission que Dieu m’a confiée que de travailler pour la justice, la démocratie et l’unification, et de m’efforcer de transformer l’ennemi en ami. Mais ce qui me remplit d’espoir, c’est que depuis la fin de la guerre, la Corée du Sud a une histoire extraordinaire de révoltes, de mouvements spontanés de citoyens que personne n’aurait pu prévoir. Ces mouvements ont conduit le pays à la démocratie, et j’ai bon espoir qu’ils conduisent un jour la péninsule à la paix. C’est pourquoi je suis confiant dans l’avenir.

*Photos: Julie Paik

Les 60 ans de l’armistice

Le 11 août dernier (dimanche précédant le 15 août) a eu lieu la prière commune pour la paix. Pour marquer les 60 ans de l’armistice, environ 500 personnes se sont retrouvées en plein air, au centre-ville de Séoul, pour un culte commun suivi par des manifestations culturelles. Le pasteur Bae Tae-jin, secrétaire national de l’Eglise presbytérienne de Corée, le pasteur Kim Young-joo, secrétaire général du Conseil National des Eglises de Corée, et le prêtre anglican Lee Jae-joung sont intervenus lors de la célébration.


Dieu de Paix !
Nous prions pour qu’il n’y ait plus de guerre sur cette terre, et pour que nous puissions être fiers, au sein de la communauté mondiale, de l’amitié et de la confiance entre le Nord et le Sud. Donne-nous de nous accepter les uns les autres, non pas du bout des lèvres, mais dans un élan de sympathie qui vient du fond du cœur. Fais-nous nous aimer les uns les autres, fiers d’être enfants de Dieu et d’être des frères et sœurs partageant le même sang. Permets-nous de préparer l’espace de grâce où nous pourrons partager le repas des noces et laver les pieds les uns des autres.
Seigneur ! Aujourd’hui, alors que nous célébrons la joie de la libération, nous te prions de garder le peuple de ce pays. Aide-nous à obéir à ton commandement, « aimez vos ennemis », et à réaliser que nous, l’Eglise, sommes appelés à devenir des ouvriers de paix. Nous prions que vienne bientôt le jour de la réunification nationale.

  • Extrait de la prière commune pour la paix rédigée par le Conseil National des Eglises de Corée (Sud) et la Fédération chrétienne de Corée (Nord)).