Rajmohan Gandhi: «Le pardon est une nécessité pour l’homme»

Rajmohan Gandhi: «Le pardon est une nécessité pour l’homme»

Le petit-fils du Mahatma Gandhi milite en faveur de la résolution non-violente des conflits à Caux, au-dessus de Montreux. Des pacifistes du monde entier s’y rassemblent pour le Forum annuel d’Initiatives et Changement (I&C), du 29 juin au 12 août. Entre pardon et réconciliation, rencontre avec Rajmohan Gandhi.

(Photo: ©Laura Graafen/CAUX-I&C)

Protestinfo: Que fait I&C pour permettre aux communautés en conflit de se réconcilier?

Rajmohan Gandhi: I&C incite les personnes impliquées dans des conflits à remettre leur colère en question, à prendre conscience que la situation peut changer, afin de pouvoir pardonner et se réconcilier. Chaque histoire de réconciliation est unique et le pardon est contagieux.

Par exemple, une personne ressent de la haine envers ceux qui l’ont fait souffrir. Puis, elle découvre que d’autres personnes qui ont plus souffert qu’elle-même ont réussi à pardonner. Cette prise de conscience par rapport à l’autre, peut l’amener à se remettre en question et à pardonner à son tour.

Des individus prennent conscience que continuer sur la voie de la violence détruira les générations futures. Lorsque cette lassitude devant la violence est vécue par tout un groupe, elle peut amener à une réconciliation entre plusieurs communautés.

P: Est-ce que des réconciliations se produisent à Caux?

RG: Cela se produit parfois mais on ne peut pas les organiser. On ne peut pas rassembler des victimes et leurs tortionnaires et leur demander de se réconcilier. La réconciliation est un geste spontané. L’exemple le plus célèbre à Caux concerne des Français et les Allemands après la Seconde Guerre mondiale.

En 1946, le pasteur américain Franck Buchman, fondateur de l’organisation, a estimé que l’Europe ne pouvait pas être reconstruite sans les Allemands. Il les a donc invité au Forum international de Caux. Bannis par toutes les nations, ils ont rencontré des Français. C’était pour la plupart des syndicalistes, des députés ou des industriels. Une résistante française, Irène Laure, d’abord hostile à cette rencontre a vécu une véritable prise de conscience qui l’a amenée à leur demander pardon pour sa haine.

Les rencontres à Caux sont à l’origine d'autres processus de réconciliation. Par exemple, des dirigeants japonais ont fait des excuses publiques aux pays qu'ils avaient occupés pendant la Seconde Guerre mondiale. I&C a aussi lancé des initiatives de paix en Somalie et au Liban.

A Caux, tout est mis en place pour que les personnes présentes dialoguent entre elles et découvrent le vécu de chacun. Par exemple, pendant les repas, les conférenciers, les participants et le personnel de l’établissement mangent et discutent ensemble. Ce partage permet de se rendre compte que chacun a vécu des situations similaires.

P: Le pardon a une place centrale dans le christianisme, mais qu’en est-il dans les autres religions ?

RG: Chaque religion donne une place importante au pardon même s’il est exposé de différentes façons. On pourrait penser que le christianisme lui donne plus d’importance mais on le retrouve aussi dans l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme ou le judaïsme.

Le pardon est aussi une ressource pour les personnes athées car c’est une nécessité humaine. Il existe en chacun de nous, telle une petite voix. Souvent lorsqu’une personne est en colère, triste ou blessée, elle ne l’entend plus. Mais, tout à coup, à un moment inattendu, cette voix lui dit «arrête un moment, cette rancœur n’est pas bonne pour toi».

P: En tant que petit-fils du Mahatma Gandhi, avez-vous une responsabilité particulière?

RG: Oui, mais pas nécessairement parce que je suis son petit-fils. Je ressens une responsabilité en tant qu’être humain. Je suis né en 1935 en Inde, j’ai grandi à une période où il y avait beaucoup de changements. L’Inde est devenue indépendante et beaucoup d’Indiens ont été maltraités à cause du système de castes qui implique des différences très fortes entre riches et pauvres. J’ai aussi vécu la guerre entre hindous et musulmans.

Face à tant d’injustices, j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose et je suis sûr qu’inconsciemment j’ai été influencé par mon grand-père. Mais face à un challenge, je ne me demande pas ce qu’aurait fait Gandhi, je fais ce que me dicte ma conscience.

P: L’héritage du Mahatma Gandhi est-il encore présent ?

RG: Il est resté vivant de différentes façons. Beaucoup de personnes ont été inspirées par mon grand-père. Par exemple, au Kosovo, le président Ibrahim Rugova (1944 - 2006), qui a lutté de façon non-violente pour l’indépendance des albanophones face à la Serbie. Et aux Etats-Unis, le politicien américain John Lewis, né en 1940, leader du mouvement des droits civiques, a suivi Martin Luther King dans sa lutte contre la ségrégation raciale.

En Inde, on retrouve aussi l’influence de Gandhi. Le dirigeant politique Khān Abdul Ghaffār Khān (1890 - 1988) s’est opposé à la domination britannique en Inde. Ce musulman pacifique a vraiment cru en la non-violence et au pardon.

P: Quels pays ou communautés auraient le plus besoin d’aide actuellement pour se réconcilier ?

RG: Le monde islamique a besoin de réconciliation, particulièrement entre sunnites et chiites. Le conflit existe où qu’ils soient, au Pakistan, en Iraq, en Syrie, en Egypte aussi. Mais l’Occident et le monde islamique ont aussi beaucoup de travail. Le monde pourrait s’inspirer de l’exemple espagnol, dans les années 700, quand les musulmans vivaient en paix avec les juifs et les chrétiens. Une compréhension correcte du passé peut une source d'inspiration pour le présent.

Initiatives et Changement

Initiatives et Changement, connue auparavant sous le nom de Réarmement moral, œuvre pour la paix et la réconciliation depuis plus de soixante ans. Son fondateur, Frank Buchman (1878 – 1961), un pasteur luthérien américain, a développé l’idée du «réarmement moral et spirituel» en opposition au «réarmement militaire» qui avait lieu à la fin des années 30. Active dans soixante pays, cette ONG d’origine chrétienne valorise, depuis les années soixante la diversité religieuse.
Rajmohan Gandhi, quelques repères biographiques


Rajmohan Gandhi est né en 1935 à New Delhi, en Inde. Ce journaliste et professeur de sciences politiques et d’histoire à l’Université de l’Illinois, aux Etats-Unis, a publié une dizaine de livres dont une biographie de son grand-père, Gandhi: Sa véritable histoire par son petit-fils, qui lui a valu une reconnaissance internationale.

A l’âge de 21 ans, il a rejoint Initiatives et Changement, dont il a été le président en 2009 et 2010. Guidé par la volonté de résoudre les conflits de façon non-violente, cet hindou a été élu membre du Sénat du parlement indien dans les années 90 et représentant de l’Inde à la Commission des droits de l’homme de l’Organisations des Nations Unies (ONU).

De 1964 à 1981, il a été rédacteur en chef de l’hebdomadaire Himmat (Courage) qui a joué un rôle important dans la défense des libertés démocratiques en Inde. Aujourd’hui à la retraite, cet homme de 78 ans continue de s’investir pour I&C en tant que conférencier et consultant.