Au Bénin, le gouvernement cherche à donner un accès pratiquement illimité aux investisseurs étrangers

Au Bénin, le gouvernement cherche à donner un accès pratiquement illimité aux investisseurs étrangers

Dans les pays en développement, les multinationales et les gouvernements étrangers se ruent sur les terres qui représentent pour eux de bons investissements. L’accaparement des terres se fait souvent sur le dos de la population locale. *La campagne œcuménique, qui commence aujourd'hui mercredi, met le doigt sur ce mécanisme qui prive de nombreuses familles paysannes du Sud de leurs moyens d’existence.

, théologienne, pasteure et secrétaire romande Pain pour le prochain


« Heureusement, nous avons eu vent de ce qui se tramait et nous avons pu avoir gain de cause dans un cas d’accaparement des terres. Mais pour faire face à ce phénomène qui se répand partout, surtout dans les pays africains, il faudrait créer une Alliance mondiale contre l’accaparement des terres. » Ces paroles prononcées lors du récent Sommet des peuples en marge de la Conférences des Nations unies sur le développement durable Rio + 20 résonnent encore en moi. Leur auteur Simon Bodea est le secrétaire général de Synergie paysanne (Synpa) au Bénin, une organisation partenaire de Pain pour le prochain.

Au Bénin, le gouvernement est actuellement en train de réviser le code foncier et cherche à donner un accès pratiquement illimité aux investisseurs étrangers. « Grâce à l’engagement de la société civile et des organisations comme Synpa, nous avons réussi à limiter, dans le projet en consultation, les surfaces vendables à des acheteurs étrangers à 300 hectares, non cumulables. », poursuit Simon Bodea. Le projet du nouveau code foncier sera voté prochainement à l’Assemblée nationale.

La prise de conscience est le premier pas

Plus qu’un cri dans le désert, je pense que la prise de conscience des populations concernées et le renforcement de leurs capacités pour défendre leurs droits sont les premiers pas pour empêcher que les injustices se perpétuent. C’est par cette voie qui s’appuie sur la force de la société civile que le droit à l’alimentation, formalisé depuis fort longtemps dans des conventions internationales, finira par être respecté davantage.

Dans le même ordre d’idée, Jean Ziegler dans sa conférence donnée récemment à Lausanne comptait sur une « insurrection des consciences ». « Nous pouvons agir sur les mécanismes à l’origine de la faim », croit toujours l’homme qui a consacré sa vie à dénoncer les mécanismes, qui conduisent une grande partie de l’humanité à la pauvreté extrême. En effet, la pauvreté n’est pas une fatalité. Ce sont très souvent les intérêts économiques et géopolitiques qui sont à son origine. Le travail de politique de développement que mènent Pain pour le prochain et Action de carême consiste à déconstruire les liens entre les intérêts économiques et le contexte de pauvreté.

« Voir et agir »

Pour cela, la campagne œcuménique s’est dotée d’un nouveau mot d’ordre qui nous accompagnera pendant ces prochaines années : « Voir et agir ». Nous « voyons » - et dénonçons - l’expropriation de familles paysannes au profit des intérêts financiers de multinationales ou de gouvernements. La terre est devenue un bien marchand, un objet d’investissement et de spéculation qui se négocie par contrat de location allant de 50 à 99 années.

Plus de 200 millions d’hectares ont déjà été négociés ce qui représente 50 fois la surface de la Suisse.

Entre monoculture intensive et intrants chimiques les rendements sont optimisés jusqu’au jour où l’équilibre biologique anéanti laissera cette terre stérile. Plus de 200 millions d’hectares ont déjà été négociés ce qui représente 50 fois la surface de la Suisse ! Depuis les crises alimentaires et financières de 2008 et de 2010, les terres se louent ou se vendent pour y cultiver du soja, du maïs ou de la canne à sucre, soit de la matière première pour la production des agrocarburants.

En effet, le besoin de l’Unions européenne de réduire son empreinte écologique de moitié d’ici 20 ans, encourage l’investissement massif dans la production des agrocarburants. S’y ajoute la production intensive de nourriture pour les bovins étant donné que la consommation de viande a triplé en 50 ans.

Nous « agissons » aux côtés de nombreuses associations locales actives pour défendre les droits des petits paysans face aux accapareurs. Elles leur fournissent des conseils juridiques et entreprennent les démarches nécessaires pour sécuriser leur droit foncier. Elles entrent en dialogue avec les entreprises pour trouver des solutions pérennes et respectueuses des droits humains et de l’environnement.

En 2008 à Madagascar, un gigantesque projet de production de maïs et d’huile de palme destiné à l’exportation fut dénoncé et abandonné. Pour cela, Pain pour le prochain soutient deux plateformes contre l’accaparement des terres en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale. Dans ces lieux réunissant les acteurs de la société civile, les cas d’accaparement de terres sont recensés, les expériences partagées et des actions concrètes sont développées.

Agir en Suisse

Cette méthode d'action est empruntée à la théologie de la libération latino-américaine où elle a fait ses preuves. Dans les célèbres communautés ecclésiales de base, la trilogie « voir-juger-agir » était la méthode fondamentale pour aborder la réalité faite d’oppression et de conflits sociaux. L’analyse du contexte afin de mieux comprendre les enjeux, confronter les éléments à l’Evangile et développer ensemble des pistes d’action sont les trois pas nécessaires pour aller vers un changement.

Pain pour le prochain et Action de Carême ont simplifié la méthode mais sans pour autant brûler les étapes. En effet, la confrontation de la réalité sociale au message libérateur de l’Evangile reste un pas important qui se vit en Suisse dans les rencontres au niveau paroissial. Nous faisons à tout moment le lien entre notre analyse politique et la Bible de sorte que la foi chrétienne soit une source d’inspiration qui mène à l’action.

*La campagne œcuménique rassemble Pain pour le prochain (protestants) et Action de Carême (catholiques). Lancée le 13 février, elle a pour slogan "Sans terre, ni pain" et dure jusqu'au 31 mars. Cette campagne revient chaque année depuis 44 ans.

BIO EXPRESS

Martina Schmidt, née en 1963 à Fritzlar (Allemagne), vit en Suisse depuis 1995. Après des études de théologie aux Universités de Göttingen, Lausanne et Marbourg, elle a séjourné dans le sud du Brésil pendant six mois comme collaboratrice pastorale dans une paroisse de l’Eglise évangélique de confession luthérienne au Brésil (IECLB).

Après quatre ans de pastorat en Allemagne, elle a travaillé comme assistante aux facultés de théologies de Lausanne et de Neuchâtel (Suisse). De 2003 à 2005, elle a été Chargée de la diaconie et des questions sociales à la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS).

Depuis janvier 2006, Martina Schmidt est Secrétaire romande de Pain pour le prochain, et co-initiatrice de Dialogue4change.

Ces domaines d’intérêt sont la théologie de la libération latino-américaine ainsi que l’impact des religions et spiritualités sur le développement.

Citations:

  • La foi, c'est l'oiseau qui chante quand l'aube est encore obscure (Tagore, philosophe indien)

  • - « Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? L’idée nous paraît saugrenue. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les acheter. Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. » (Extrait du discours du chef Seattle, 1854)